vendredi 3 décembre 2010

Wikifuites : le Wikileaks à la française

Depuis quelques jours, les journalistes du monde entier usent leurs claviers pour décortiquer jusque dans les moindres détails les quelques 250000 télégrammes américains qui ont été relâchés dans le domaine public par le site suédois Wikileaks.

250000, ça fait une somme, ma brave dame. Et tout ça sans qu'on s'en aperçoive. Parce que la copie de 250000 fichiers, ça ne doit pas passer inaperçu sur un réseau. M'est avis qu'il y a du avoir quelques licenciements suite à cette affaire. (Note personnelle : ne pas demander aux américains d'améliorer la sécurité informatique des réseaux diplomatiques français. Les Nord-Coréens ont l'air pas mal dans ce domaine).

Traduction : "Essaye de publier nos télégrammes et voila ce qu'on va t'envoyer". La Corée du Nord est très forte en matière de sécurité des réseaux.

Mais là n'est pas le coeur de la question. Considérons plutôt ce que les journalistes et les médias retirent de cette masse d'information à l'état brut. Et lorsqu'on voit ce qu'il ressort, deux constats sont frappants :

Premier constat : les gros titres veulent du people. Il suffit de voir quels articles sont les plus développés dans les journaux. On se fout pas mal des tensions entre le Yemen Sud et l'Arabie Saoudite, on se tape complètement de l'Afrique (y a-t-il même des diplomates sur ce continent ?), et des questions économiques, industrielles et scientifiques (il est bien connu que ces sujets sont d'une importance mineure, et que ce n'est pas ça qui fait avancer le monde). Par contre, on cherche les "petites phrases". 
Les petites phrases ont plusieurs avantages incontestables : elles sont simples à comprendre (pas besoin d'avoir fait des études, ni même d'avoir un pouvoir de réflexion supérieur à celui de Steevy Boulay d'une mouche pour en comprendre le sens), elles ne demandent absolument aucun talent à nos journalistes pour en faire un article, et surtout, elles "font le buzz".
Et aujourd'hui, faire le buzz, coco, c'est ça qui compte ! Parce que tu crois que notre journal il est lu par des prix Nobel ? Ce qu'on vise, c'est la ménagère de moins de 50 ans, et si ça te va pas, tu peux toujours aller raconter tes états d'âmes dans le bureau du PDG (rires).

C'est ainsi que les gros titres se focalisent sur le fait que Sarkozy ait été jugé autoritaire et capricieux, ou que Angela Merkel soit peu imaginative. On apprend aussi que Kadhafi ne peut pas voyager sans sa nurse Ukrainienne, blonde, jeune et pulpeuse. Voila, ça c'est de la diplomatie ; on veut des blondes aguicheuses, des petites phrases et des déclarations qui feront croire que le monde politique ressemble à une saison des Feux de l'Amour. C'est ce qui intéresse les gens, bien plus en tous cas que les questions politiques (Note personnelle : ne pas prendre les gens pour des cons, mais ne pas oublier qu'ils le sont).

Notons aussi que le travail de journalisme est énorme. Les guillemets fleurissent à tous les coins de phrase, et on ne compte plus les articles qui ne font qu'un copier-coller traduit d'un télégramme américain. Si le boulot des journalistes étaient de faire de l'analyse et du décryptage, ça se saurait...

Cela nous amène d'ailleurs au deuxième constat ; quand un document est classé top secret, il est également tout de suite beaucoup plus crédible. D'un coup, tout ce qui est marqué dans le document est pris pour argent comptant, et passe pour une vérité absolue. 
"T'as vu ? Ils ont dit que Angela Merkel n'avait pas d'imagination." 
"Ah ouais, c'est fou ! C'est vrai qu'elle a pas l'air futé !"
Et on balance ça dans tous les journaux sans même mentionner qui est l'auteur, ni sur quoi il se base pour dire ça. On ne peut pas imaginer un instant que l'obscur employé de l'ambassade américaine en Allemagne qui rapporte ses impressions dans un télégramme soit une grosse buse, qu'il ait un quelconque intérêt à dire ça, où qu'il se trompe dans son jugement. On ne dit pas d'ailleurs non plus si cet avis est confirmé par d'autres télégrammes, ou si c'est juste un court passage d'un petit télégramme et que tous les autres affirment qu'au contraire, il s'agit d'une personnalité brillante. 
D'ailleurs, à lire ce qui ressort dans les médias, on a l'impression que la moitié des présidents de la planète ont un QI à peine supérieur à un candidat de Secret Story ; à se demander comment ils ont pu monter jusque là, être choisi par leur entourage et leur parti politique, et élu par plus de la moitié des habitants d'un pays...

En plus, avouons que toutes les infos relâchées sont des scoops retentissants ; Sarkozy autoritaire et capricieux ? Nom d'une endive, voilà quelque chose que personne n'avait remarqué ! On comprend que le document soit classé secret. A peu près 18733 personnes ont du l'écrire avant, mais c'est vrai que quand c'est classé secret, ça a quand même vachement plus de poids.

"Sarkozy n'est pas grand" selon un télégramme américain. Reconnaissons que la nature des informations divulguées est hautement secrète.

Mais rangeons cet esprit critique dérangeant quelques instants, et essayons de tirer les leçons de cette histoire incongrue.
En tant que conseiller spécialisé en questions incongrues auprès du gouvernement, j'ai proposé au président Sarkozy de lancer un site équivalent à Wikileaks en français, batpisé "Wikifuites" et dans lequel on pourrait relâcher des télégrammes hyper-super-top-confidentiels-secrets. On y lirait, dans des télégrammes provenant des services secrets américains (car les services secrets américains ne mentent jamais et ne se trompent jamais, ils l'ont dit à la télé - forcément, si on avait relâché des télégrammes mozambicains, ça aurait fait moins de bruit) des titres divers et variés, immédiatement copiés-collés par tous les grands médias. Voici quelques exemples des titres qui sortiraient dans la presse :

 "Sarkozy est un grand président" (Wikifuites)
D'après les télégrammes de la CIA relâchés récemment sur Wikifuites, Sarkozy est jugé comme "quelqu'un d'hyper intelligent" par les diplomates américains, qui ajoutent d'ailleurs "il a raison sur toute la ligne" ou encore "d'ailleurs, il n'est pas si petit que ça".

"Martine Aubry a des grosses chevilles" (Wikifuites)
Un des télégrammes rendus publics aujourd'hui précise même qu'elle ne pourrait pas prendre l'avion sans ses bas de contention, et qu'elle insiste pour prendre un jus d'orange avec une touche de grenadine avant le décollage.

Bref, tout un tas de sujets passionnants qui pourraient nous permettre de faire passer en douce quelques réformes bien senties.

Le logo du site "Wikifuites" s'attirerait immédiatement les faveurs du troisième âge.

Le gouvernement pourrait également en profiter pour influencer en douceur la presse nationale, et se mettrait également les journalistes dans la poche, trop contents qu'on leur pré-mâche le boulot en les abreuvant de "petites phrases" faussement scandaleuses pour la plus grande joie des ménagères de moins de 50 ans (qui se feront ensuite mousser en lisant dans Le Monde des ragots au moins dignes de Closer).
Bon sang, pourquoi faut-il encore une fois traverser la manche pour trouver des infos de qualité : quand fera-t-on un appel du 18 juin pour le journalisme (ceux qui ont répondu "le 18 juin" montrent là un début de logique... rien n'est perdu).

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