mardi 23 novembre 2010

Voila le voile

6h30, Paris s'éveille, et Aïcha aussi. Le gazouillis des oiseaux vient résonner dans sa chambre à coucher qu'envahissent les premiers rayons du soleil (en vrai, ce serait plutôt le bruit des embouteillages et les gaz d'échappement, mais ce récit est une fiction, ce qui laisse toute liberté à l'auteur quand aux décors choisis).
Ce matin est particulier pour Aïcha ; non seulement c'est la rentrée des classes, mais en plus, c'est sa première rentrée au lycée français.
Aïcha vient d'Oman (nom d'un Sarkozy petit bonhomme, c'est quoi ce truc ? C'est pas l'Alliance Militaire de l'Atlantique Nord ? Non, ça c'est l'OTAN ? Mais alors c'est quoi l'Oman ? Un pays ? Pour de vrai ?). Elle et sa famille viennent d'arriver en France, grâce au visa que leur a facilement accordé l'administration (c'est une fiction, tout est possible ; en vrai tout le monde sait bien qu'avec un nom comme Aïcha et une tête d'arabe comme la sienne, elle n'aurait pas eu de visa). Son père Mohammed, a été promu au sein de la boîte française pour laquelle il travaillait en Oman, et s'est vu proposer un poste à Paris. La famille entière est très honorée d'arriver en France et de s'y installer ; quelle promotion !

Pour son premier jour de classe, elle choisit avec soin ses habits. Elle sort sa plus belle abaya, une abaya noire bordée de couleurs vives, et son hijab favori, aux couleurs assorties. Elle ajuste son hijab à mi-tête, de manière à laisser voir la moitié de ses cheveux, comme c'est la mode dans les lycées de Mascatte, et part pour le lycée. Elle est stressée car son français n'est pas excellent ; elle a eu beau travailler tout l'été, il lui manque encore du vocabulaire et elle bute trop souvent sur les mots. Pour s'entraîner, elle regardait la chaîne d'information en français qu'ils recevaient en Oman ; du coup elle maîtrise parfaitement le vocabulaire relatifs aux grèves, aux protestations, et à la fabrication des jouets en bois à Bouilly-en-Gros (il s'agissait du 13 heures de Pernaut, vous l'aurez compris).
On lui a dit qu'apprendre le français était indispensable, car les Français parlent très mal anglais. Et surtout, ils exigent qu'on leur parle français, preuve que c'est un peuple très fier. Ah, si tous les étrangers qui viennent en Oman devaient parler son dialecte... Déjà, s'ils parlaient arabe, ce serait déjà un début.

En arrivant en vue du lycée, Aïcha commence à croiser les premiers élèves. Un garçon en particulier attire son attention. Il porte son pantalon à moitié baissé, et on lui voit son caleçon. Il arbore un portrait de Che Guevara sur son sac en bandoulière, et un portrait de Staline sur son T-Shirt. Si elle se souvient bien de ses leçons d'histoire, Staline était un dictateur qui a fait déporté de nombreuses personnes ; elle trouve cela surprenant qu'on puisse vouloir avoir sa tête sur ses vêtements. La France doit vraiment être un pays très libre pour qu'on ait le droit d'avoir le portrait d'un dictateur sur ses vêtements.

Contrairement aux signes religieux, les signes de connerie sont très bien tolérés dans les collèges et les lycées.

Aïcha remarque également une autre fille, qui a l'air d'être aussi perdue qu'elle. Apparemment, elle vient d'Inde, puisqu'elle est drapée dans un sari aux couleurs chatoyantes. Elle doit également être hindoue, puisqu'elle porte le tilak, ce point rouge au centre du front, signe d'appartenance à la communauté hindoue.

En passant la grille du lycée, le surveillant s'adresse à Aïcha, la montre brièvement du doigt et déclare ; "Si j'étais toi, j'enlèverais ça. Tu vas avoir des problèmes." Aïcha ne comprend pas bien le sens de sa phrase, et se contente de continuer son chemin.

En entrant dans la salle de classe, elle constate que l'Indienne et le jeune homme au caleçon apparent et aux idoles communistes sont également dans sa classe. Elle aperçoit aussi un jeune homme au fond de la classe, qui porte les papillotes juives (ces longues mèches de cheveux que les juifs orthodoxes portent de chaque côté du visage). Quelle bonheur que des gens de différentes religions puissent cohabiter pacifiquement dans un même pays.

Après avoir fait l'appel, la professeur d'histoire-géo, une grosse dame à l'allure peu sympathique et qui ressemble à Martine Aubry (c'est vous dire !), s'adresse à Aïcha, et lui dit d'un ton sec ; 
- Tu m'enlèves ça tout de suite.
- Pardon Madame ?, demande Aïcha.
- Ton voile islamique, tu l'enlèves immédiatement ; c'est interdit dans le lycée.
Aïcha s'arrête un instant déconcertée. Elle a toujours porté le hijab, et sans lui, elle se sent comme nue. Le regard des autres sur ses cheveux la dérange beaucoup ; le porter fait partie de sa culture, mais par dessus tout, elle ne comprend pas pourquoi on lui demande de le retirer.
- Pourquoi, Madame ?
- C'est interdit dans l'enceinte du lycée, ne discutes pas.
- C'est interdit de se couvrir la tête ?, demande-t-elle après un rapide coup d'oeil à un élève qui porte un bonnet au fond de la classe.
- Non, c'est interdit de porter des signes d'appartenance religieuse.

Aurait-on oublié qu'une femme peut se couvrir la tête sans forcément que ce soit un signe de soumission ?

Aïcha se retourne vers la fille hindoue et son tilak, le garçon juif et ses papillotes.

- Elle est hindoue, et il est juif. Ils portent des signes religieux, Madame.
- Ne mélange pas tout, Arshana est Indienne, c'est pour ça qu'elle s'habille comme ça, et Salomon est Israélien, c'est dans sa culture de s'habiller comme ça. Toi, c'est parce que tu es musulmane. Tu sais qu'il n'y a rien dans le Coran qui oblige les femmes à se voiler ? Tu devrais être contente de pouvoir le retirer, tu dois en rêver depuis des années. 

Aïcha n'en rêve pas du tout. Elle aime bien son hijab, surtout celui-là. Elle l'a toujours mis pour sortir. Le Coran impose juste aux femmes de ne pas être impudiques. Pour elle, la pudeur est de cacher en partie ses cheveux et sa nuque, comme pour les autres femmes de son pays. Mais même si le Coran ne disait rien, sa pudeur resterait inchangée.
- Les musulmans d'Inde et les chrétiens d'Israël ne portent pas le tilak et les papillotes, madame, ce sont des signes religieux.
- Oh vous, les arabes, il faut toujours que vous contestiez tout. Sors immédiatement, et reste chez toi ; tu ne te rends pas compte de la chance que tu as de pouvoir venir étudier en France, il faut en plus que tu veuilles que tout le monde soit comme toi. Ici, les femmes sont libres, que tu le veuilles ou non ! 

Aïcha ramasse hâtivement ses affaires et quitte la salle de classe en pleurant. Ses parents seront sans doute très déçus d'apprendre ce qui s'est passé. Dans le couloir, elle croise un lycéen habillé tout en noir, avec un portrait d'un diable cornu sur son T-shirt, avec SATAN marqué en lettres gothiques rouge sang. Et cette fille avec un collier en forme de Tajitu, le symbole du Yin et du Yang, sait-elle que c'est un signe de la religion taoïste ?
Apparemment, Satan sur un T-Shirt, Staline, le tilak, les papillotes sont tolérés dans les lycées de France, mais pas un foulard qui couvre la moitié de la tête... 
Est-ce vraiment les signes religieux qui dérangent, ou le fait d'être musulman, avec tous les clichés que cela véhicule ? Le fait de cacher sa religion est-il vraiment le meilleur moyen de bâtir une société tolérante ? Cela apprendra-t-il vraiment aux élèves à accepter la différence, à voir que l'on peut pratiquer une religion sans que cela change son comportement en société ?

Pour pouvoir pratiquer en toute liberté, choisissez une religion qui n'est pas reconnue comme telle (mot diplomatique pour désigner une secte, ou une mouvance religieuse dont tout le monde s'en fout). Le coup de coeur de la rédaction va cette semaine à la religion raëlienne.

Depuis mars 2004, le hijab, appelé à tort "voile islamique" (expression qui fait l'amalgame entre hijab, niqab, burqa et tchador) est interdit dans les écoles françaises, de même que sont censés l'être tous les autres signes religieux. Reste cette question : cacher nos différences nous rendra-t-il plus tolérants à la différence ?

3 commentaires:

  1. woaw,encore un débat qui ne sera jamais terminé...l'histoire est probable, mais quelle idée aussi d'etre musulmane...lol

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  2. Ce blog est une mine d'or! Merci beaucoup.

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