lundi 28 mars 2011

Les aventures du Baron Principe de Précaution

Je suis le Baron Principe de Précaution, mais vous pouvez m'appeler Baron, en toute simplicité. Aujourd'hui, je me porte bien. Mais je pourrais me porter mieux.

Mon principal combat : la précaution. Mais pas de n'importe quelle manière. 
La précaution doit devenir (si elle ne l'est pas déjà) un principe. Par principe, on ne déroge pas à un principe (enfin, en principe, tout du moins), ce qui signifie qu'en toutes circonstances, personne de doit déroger à la règle maîtresse de la précaution. 
Laissez-moi vous en donner ma définition, que vous retrouverez assez largement ailleurs : 
Lorsqu'un développement ou une activité apparaît être porteuse d'un risque probable, non encore confirmé, mais dont la possibilité est identifiée, alors il vaut mieux renoncer à cette activité jusqu'à ce que le risque qu'elle engendre puisse être qualifié et contrôlé.
J'ai fait graver cette définition en lettres d'or sur mon blason, ainsi que tous mes ancêtres. Ah, mes ancêtres. J'en suis tellement fier, que je vais vous raconter quelques-uns de leurs combats. Commençons par mon plus vieil ancêtre connu : Adam de Précaution.

Adam de Précaution - Feu le feu
Remontons il y a 450 000 ans. A l'époque, l'homme vit paisiblement en tribus sans faire de mal à son environnement : l'état le plus satisfaisant dans lequel nous ayons jamais connu l'humanité. 
Imaginez : pas de réchauffement climatique, pas d'ondes dans les airs, pas d'OGM, pas de Justin Bieber, le rêve. Bon, bien sûr il y a quelques inconvénients : la couverture sociale est pas géniale, et il faut bien reconnaître que le confort des cavernes était un peu rustique, mais c'était la vraie vie.

Et un beau jour, tout a changé. Toute la tribu était tranquillement au campement, en train de dépecer quelques lapins fraîchement attrapés. Les enfants jouaient à se poker innocemment et à graver des smileys sur les murs de la caverne, la routine, quoi. 
Soudain, un jeune homme revint au campement en faisant grand bruit. Cet homme, nous l'aurions tous détesté. Visualisez-le un instant ; plutôt bellâtre, adorant faire rire les filles, et ayant toujours des idées farfelues en tête (il marmonnait sans cesse que le capital appartenait aux travailleurs, que l'Internationale serait le genre humain... bref des idées sans aucun sens et que personne ne comprenait). En un mot, c'était un progressiste - ce simple mot me fait frémir d'horreur. 
Ce jour-là, il est revenu en triomphe au campement apportant triomphalement un branche en feu. Rendez-vous compte du danger. Non seulement personne ne maîtrisait le feu à cette époque, mais en plus nous en connaissions tous les risques : il peut déclencher des incendies ravageurs que personne ne sait éteindre, il peut faire mal aux enfants qui s'en approchent trop et laisser des séquelles à vie à quiconque le touche.
Malgré ça, ce jeune blanc-bec paradait comme un jeune coq avec sa branche en feu. Il persistait à ne voir qu'une partie du problème, en disant qu'il pouvait faire cuire la viande (alors même que nous l'avions mangée crue depuis des années et que cela n'avait jamais posé de problème), que cela pouvait faire fuir les animaux (alors que nous avions déjà des pointes pour cela), nous réchauffer (alors que les femmes servent à ça) et bien plus encore. Et simplement parce qu'il l'avait fait une fois, il estimait maîtriser le feu. L'insolent...

Encore aujourd'hui, certains individus malhonnêtes veulent vous faire croire que le feu, c'est kikinou.
C'est alors qu'Adam de Précaution, un homme bien comme j'aimerais être quand je serai grand, est intervenu : "Jeune impertinent, déclara-t-il d'un ton majestueux en levant un bras impérial, as-tu seulement envisagé les risques ?". Vous auriez vu la tête de ce petit morveux. Il ne savait tout bonnement plus ou se mettre. Il essaya vaguement de bredouiller un début d'explication, quand Adam de Précaution ajouta : "Faudra-t-il que tu te brûles avant que tu ne jettes cette branche au loin ?".
Mon ancêtre avait gagné la partie, et ne sachant que répondre, la tête-brulée (c'est le cas de le dire) jeta au loin la branche et abandonna l'idée de se servir du feu.

Bon, par la suite, malheureusement, d'autres tribus n'avaient pas un de mes ancêtres pour les rappeler à l'ordre, et le feu fut malheureusement adopté par l'espèce humaine. Mais à quel prix ? L'Homme avait mis le pied dans une spirale progressiste qui l'entraînerait à sa perte.

Eric de Précaution : voila la voile
Faisons un bon dans le temps qui nous amène à 3000 avant Jésus Christ, dans un endroit proche de l'actuelle ville de Singapour. 
A cette époque, la tribu de mon ancêtre, Eric de Précaution, vit paisiblement dans un village côtier, se nourrissant de poissons et de fruits frais, s'habillant de pagnes et de colliers de fleurs (ce qui est un gros avantage quand on vit avec la Mélissa Theuriau de l'époque, mais beaucoup moins quand on vit avec la Christine Boutin de l'époque), bref, en harmonie avec la nature. 
Malheureusement, dans le village vivait un jeune blanc-bec, ce genre de jeune fou qui veut émerveiller les filles avec des inventions à la noix de coco. Son truc favori ; glisser sur les vagues avec une planche en bois. Une activité parfaitement inutile, dangereuse et tape-à-l'oeil, une illustration parfaite de cet individu.
Et v'la-t'y pas qu'un beau jour, ce fanfaron revient au village avec, selon ses termes l'invention du siècle : la voile. Il a fixé des feuilles de palmier tressées sur une pirogue, et prétend pouvoir naviguer sur l'océan sans avoir à pagayer. Il parle d'explorer et coloniser d'improbables îles, alors que cette activité est hautement inutile. Selon ses termes, il a même caréné le fond de sa pirogue, ce qui lui permet de crier à qui veut l'entendre "Tous à voile et on se carène" (phrase qui se déformera par la suite pour être scandée par les milieux étudiants, mais je m'égare...). 

C'est alors qu'intervint mon ancêtre, Eric de Précaution (un homme bien comme ce que je veux être quand je serai grand) : "Oh là, pédant ! As-tu seulement pensé aux risques ?". Paf, le petit morveux était bien mouché par cette phrase bien envoyée. Les risques étaient énormes. On pouvait se faire emporter par le vent sans pouvoir le contrôler, se retrouver bloqué ou perdu au milieu de l'océan, sans compter les multiples dangers non mesurables que l'on pouvait rencontrer sur de nouvelles îles. Qui sait ce que l'on aurait pu trouver ; des peuples hostiles et belliqueux, des maladies contagieuses, des espèces animales dangereuses ?
Puis mon ancêtre Eric ajouta : "Ne te voile pas la face, tu sais quels en sont les risques". (Cette phrase lui a d'ailleurs valu de se faire décerner la légion d'honneur à titre posthume par Nicolas Sarkozy, qui a repris des siècles plus tard ce combat contre les voiles). L'impudent était toqué, mon ancêtre triomphait.

Par la suite, le prénom Eric a souvent été associé à des histoires de voile.
Malheureusement, les dangereux de cette espèce sont monnaie courante, et, certainement par provocation, une tribu voisine reprit bientôt cette dangereuse invention pour courir au devant d'on-ne-sait quels dangers. Et regardez le résultat aujourd'hui : c'est ce qui a permis aux chinois de nous envahir de leurs produits bon marché dès l'Antiquité.


Il y eut une période au Moyen-âge pendant laquelle mes nobles ancêtres ont réussi à tuer dans l'oeuf toute velléité d'innovation dangereuse. Pendant, plusieurs siècles, le principe de précaution a régné en maître sur un monde qui, enfin, se stabilisait. Pas de nouveauté qui entraîne des risques inconnus : le bonheur.

Mais hélas, la spirale du progrès a repris de plus belle, emmenant l'humanité vers des risques sans cesse plus grands, des catastrophes sans cesse plus désastreuses plus l'homme et son environnement. Bien sûr, on pense à Hiroshima, Tchernobyl, le trou dans la couche d'ozone... Celles-ci sont les plus visibles des conséquences des innovations humaines. Mais il y a pire ; celles qui tuent tous les jours, celles dont le risque est encore plus grand. Deux de celles-ci sont de parfaits exemples : l'automobile et l'électricité. Rien de ce que mes ancêtres ont pu faire n'ont su enrayé la situation (il faut dire qu'après 1789, la noblesse avait un peu perdu en popularité en France).

L'automobile est une violation parfaite du principe de précaution. Elle a engendré une hausse dramatique des émissions de gaz à effet de serre, elle tue directement 1,3 millions de personne dans le monde chaque année, et en blesse près de 50 millions, selon l'OMS. Et tout le monde trouve ça normal. 
Il en est de même pour l'électricité : malgré le fait qu'elle représente un danger mortel dans chaque maison, et que sa production soit la principale cause du réchauffement climatique (avec l'automobile), personne ne pense à la remettre en cause. Mon ancêtre de l'époque, pourtant bien au courant des risques (et là, je me gausse), n'a su empêché le courant de continuer sur un mode alternatif.
Ah, si seulement à l'époque on avait appliqué à la lettre le principe de précaution ; aujourd'hui on serait bien mieux. 
Un des effets néfastes de l'électricité : la coiffure d'Alain Souchon.
Mais il n'est pas encore trop tard. Dès aujourd'hui, nous pouvons :
  1. Appliquer strictement le principe de précaution pour toutes les nouveautés actuelles et futures. Est-il encore besoin de le démontrer, nous n'avons besoin d'aucune nouveauté, puisque jusque là, on s'en sortait très bien. Appliquons le principe de précaution de manière systématique et obligatoire : moratoires, attentes, interdictions, n'hésitons surtout pas à condamner la nouveauté. A l'avenir, jugeons une nouveauté à ses risques, et ne prenons surtout pas en compte les améliorations qu'elle pourrait apporter. C'est ce que font déjà certains groupes écologistes, c'est bien, mais il faut continuer.
  2. Revenir en arrière. Toutes ces inventions diaboliques dont les conséquences sont désastreuses pour l'homme et l'environnement ne servent à rien. On vivait mieux avant, et le progrès n'est qu'une belle idée créée de toutes pièces pour masquer les risques. Bannissons dès aujourd'hui le nucléaire, le pétrole, la voiture, l'électricité, la voile, le feu, tout ! C'est ce que réclament les partisans de la décroissance : je suis de tout coeur avec eux.
Mon combat est un combat de tous les instants, et je vous invite à m'y rejoindre. Enfin, si on améliorait nos conditions de vie en innovant, et si prendre des risques quels qu'ils soient pouvait améliorer notre quotidien, ça se saurait. Non ?

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