jeudi 3 mars 2011

Initiative malheureusement vraie

490 avant Jésus Christ, quelque part dans l'empire Perse, un jeune général ambitieux du nom de Datis se présente à l'empereur Darius Ier. 
En guerre contre les Grecs, les Perses s'apprêtent à donner un grand coup d'arrêt aux forces militaires ennemies. Plus personne ne sait très bien pourquoi ils sont en guerre ; certains disent que la récente victoire d'Athènes aux jeux d'Olympie les place juste derrière les Perses dans le classement international sportif (et qu'avoir des Grecs derrière soi précède en générale une perte de virginité anale douloureuse, d'où un bon motif pour entrer en guerre), d'autres disent qu'ils avaient vendu des sandwiches avariés au frère de Darius, d'autres encore, que la grande quantité de produits financiers toxiques détenue par le gouvernement d'Athènes menaçait le cours du Drachme... Bref, c'était très grave.

En tous cas, le général Datis se présente ce matin là à Darius Ier, car il a trouvé un bon lieu pour débarquer ses troupes. 
- Votre Majesté, je crois que nous tenons enfin la bonne plage pour débarquer nos troupes.
- Et quelle est-elle, cette plage ?
- Je me dois de la tenir secrète, votre Majesté ; je ne voudrais pas courir le risque que nos ennemis la découvre avant nous. Sachez juste qu'elle se situe à un peu plus de 42 km d'Athènes. Pour découvrir son nom avec cette seule indication, vous pouvez toujours courir.
- Je vous fais confiance, général. Pour le débarquement, je vous laisse le choix dans la date, Datis (Darius Ier était un sacré déconneur, qui aimait les contrepèteries).
- Merci votre Majesté. Je vous en remercie.

Datis prit donc l'initiative de faire débarquer les troupes à Marathon, et se prit une branlée digne de celle d'un match Iles Féroé - Nouvelle Zélande en rugby. Il venait d'inventer le concept de l'initiative malheureuse. 
Depuis, ce concept se porte bien, merci. 

On pense bien sûr, à Gavrilo Princip, qui assassina François Ferdinand à Sarajevo en 1914 en pensant que "ce sera sans conséquence", à l'amiral Kimmel, qui décida de faire mouiller la flotte américaine dans la baie de Pearl Harbor en décembre 1941, ou plus récemment à Gérard Schivardi, qui décida de se présenter à la présidence de la France. Autant d'initiatives malheureuses qui font entrer leurs acteurs au Panthéon de l'incompétence au son des trompettes de la médiocrité.

Franz Reichelt, le presqu'inventeur du parachute, en couverture de "Exemples d'initiatives malheureuses à travers l'histoire, Vol III" - 1300 pages.

Mais, hors ces quelques exemples célèbres, certaines personnes continuent avec un entrain stupéfiant à faire vivre ce concept, par de brillantes initiatives. En France, on a même créé un poste pour récompenser les gens qui font ce genre de choses ; ça s'appelle "Conseiller auprès de l'Education nationale". Rappelez-vous du dernier appel de ces gens-là. Et bien, à peine remis de leur dernière idée, ils remettent le couvert.

Cette fois-ci, ils ont eut une idée géniale pour éviter le redoublement. Rien que ça. Retournons un peu dans le temps pour voir comment est née cette idée révolutionnaire.
Mardi matin, 10h15, début de la journée au Ministère de l'Education Nationale.
- Bonjour messieurs les conseillers, et merci d'être venus. Le sujet du jour est important, nous avons fait une découverte importante : les bons élèves ne redoublent pas, seuls les mauvais élèves redoublent.
- Bon sang, c'est pourtant vrai !
- Du coup, pour diminuer le taux de mauvais élèves, il suffit de diminuer le redoublement. Messieurs, j'attends vos idées.
Le silence se fait autour de la table, chacun trouvant subitement plus opportun de refaire son lacet de chaussure plutôt que de s'exprimer.
- Je crois que j'ai une idée, s'écrie soudainement Jean-Julien Leventru. Il y a des collèges dans lesquels il y a plus de redoublement que d'autres, c'est ça ? 
- Tout à fait Jean-Juju, les statistiques sont formelles.
- Bien. Quand un enfant fait une mauvaise chose, on le punit, pour lui montrer que ce n'est pas bien. Et après, il ne le refait plus. Vous me suivez ?
La salle acquiesça silencieusement.
- Eh bien, on n'a qu'à punir ces établissements, puisque ce ne sont pas des bons exemples. Comme ça, ils s'amélioreront.
Le raisonnement était puissant (du moins, de l'avis des autres conseillers). Il fut donc immédiatement décidé de l'appliquer sur une région test.

Nom de nom ! Revoilà l'équipe des conseillers de l'Education Nationale au grand complet.

Le raisonnement puissant des endives du ministère ne s'est pas arrêté là. Bien loin d'imaginer que lorsque qu'un collège a beaucoup de redoublants, c'est peut-être à cause des élèves, ou d'un manque de temps ou de moyens, ils ont également dû beaucoup plancher sur la sanction à appliquer. Ils ont en effet décidé que les collèges qui avaient le plus de redoublants auront leurs moyens diminués pour l'année d'après : moins d'heures leur seront attribuées. A l'inverse, les collèges dans lesquels tout va bien auront plus d'heures d'année en année. Ben oui, parce que c'est bien connu que moins on a de temps à consacrer aux étudiants, mieux ces derniers vont réussir. Les heures d'enseignement, ça ne sert à rien, et surtout pas à améliorer le niveau des étudiants.
Et d'ailleurs, comment récompense-t-on les établissement vertueux ? En leur attribuant des heures supplémentaires. Qui ne servent pas à améliorer le niveau des élèves, donc pas à grand chose. Mais c'est une récompense quand même... Dites-moi, ce ne serait pas un peu bancal comme raisonnement ?

Prenons maintenant un exemple pratique. Imaginons le principal d'un collège qui a eu des très mauvais résultats l'année passée. Il a donc moins d'heures à attribuer à ses enseignants, qui se plaignent continuellement qu'ils ont besoin de plus de temps pour améliorer le niveau de leurs élèves. Les malappris ! Ils n'ont donc rien compris. Si leurs élèves sont mauvais, ce n'est pas de la faute de ces charmants bambins, ni du manque de temps ou de moyens : c'est de la faute des professeurs, qui n'ont pas assez cherché de bonnes idées pour diminuer le redoublement (je vous jure que c'est ce qui est marqué dans l'article).

Maintenant, que fait ce charmant directeur d'établissement ? Pensez-vous qu'à un seul moment il n'envisage de  faire passer en classe supérieure des élèves qui ont le niveau de 2 classes en dessous pour diminuer le taux de redoublement dans son collège ? Nenni ! Si vous avez imaginé cela, vous avez l'esprit bien retors. Ou alors, vous êtes simplement un brin plus futé qu'un conseiller de l'Education Nationale, au choix... 

L'insigne de l'ordre des conseillers de l'Education Nationale.


Parce que, voyez-vous, les chefs d'établissement vont certainement se creuser la tête pour imaginer des moyens innovants pour diminuer le taux de redoublement. Comme quoi par exemple ? Parce que je me demande bien ce que les conseillers ont en tête, comme exemple de "nouvelles solutions pour éviter les redoublement". 
Pour ceux qui manqueraient d'idées, je me permets d'en proposer quelques-unes :

  • la chaise piégée. Un élève vous ennuie ? Vous sentez qu'il risque de ne pas passer en 3ème alors qu'il a déjà 17 ans ? Aucun problème. Disposez notre pack "Bombe de chaise" sous la chaise du charmant bambin. Le pack "Bombe de chaise" se déclenche à distance et vous garantit une atomisation parfaite du sujet à éparpiller. Avantage : vous avez de bonnes chances de toucher d'autres cancres si le pack est placé au fond de la classe. Inconvénient : on risque quand même de vous poser quelques questions.
  • la propagande. Plus fine que la méthode précédente, mais également plus fourbe, cette méthode consiste à faire migrer vos mauvais élèves vers un établissement voisin. Pour cela, faites circuler discrètement des rumeurs rapportant que les profs du collège voisin donnent vachement moins de devoirs, qu'on peut y fumer peinard dans les toilettes du premier étage, et que les filles de troisième ont des seins énormes sans avoir besoin de rembourrer leur soutien-gorge avec du coton. En quelques semaines, 60% des cancres devraient avoir migré vers le collège voisin. Attention, méfiez-vous ; le directeur du collège concerné aura vite fait d'effectuer un retour à l'envoyeur s'il soupçonne une quelconque manoeuvre de votre part.
  • les élèves fictifs. Pour faire diminuer le pourcentage de redoublement, n'hésitez pas à gonfler artificiellement le nombre d'élèves dans votre établissement. Pour plus de détails sur les moyens de créer des élèves fictifs, je vous conseille de contacter Jacques C., jeune retraité et qui a expérimenté avec succès des méthodes similaires à la mairie de Paris.
Voila quelques bonnes idées que les conseillers de l'Education Nationale brûlent d'envie de vous voir mettre en place.

Le pack Chaise Piégée disposé sous un banc d'une cour de récré.

Pour finir, je propose également un spot radio publicitaire pour aider l'Education Nationale à recruter ses conseillers:
"On vous dit souvent que vous avez le QI d'une huître, mais vous pensez que c'est faux ? Vous avez souvent des idées innovantes, que personne avant vous n'avait imaginées ? Votre entourage ne comprend pas souvent vos idées, pourtant géniales ? Vous rêvez de travailler avec des gens qui vous ressemblent ? De pouvoir donner vie à vos idées ? Un métier est fait pour vous : devenez conseiller de l'Education Nationale. Attention, offre soumise à conditions et test de QI préalables."

Avec ça, nul doute que l'Education Nationale restera longtemps à la pointe de l'innovation en termes d'initiatives malheureuses.
Tiens, à propos, savez-vous ce qu'est devenu le général Datis après la bataille de Marathon ? Eh bien, il est devenu conseiller de l'Education Nationale Perse. Et avez-vous déjà entendu parler des écoles perses ? Non ? Eh bien, c'est sans doute pour ça...

3 commentaires:

  1. Bonjour,

    Bravo pour ce billet qui m'a fait passer un bon moment !

    Je me demande quand même quelque chose... Vous semblez avoir un bon niveau de réflexion je ne mets pas en cause votre capacité d'analyse.
    En revanche, êtes-vous certain d'avoir pris le recul suffisant pour considérer l'ensemble de la situation ?
    J'ai en tête 3 arguments qu'on pourrait vous opposer (en imaginant qu'il s'agisse d'une discussion sérieuse, entre deux personnes ouvertes et lors de laquelle aucune de tente de faire marrer l'auditoire)
    1. Même si la caricature est drôle, je doute franchement que le projet soit réductible à la simple idée faire artificiellement réduire les chiffres du redoublement pour donner une impression d'amélioration du niveau des élèves... Il serait utile de considérer le projet dans son ensemble.
    2. Non, je ne crois pas que les professeurs et les chefs d'établissements soient les seuls responsables de l'échec scolaire... Mais de là à dire qu'ils n'y sont absolument pour rien... franchement, ce serait constructif (et ça rendrait hommage à ceux qui se bagarrent pour leurs élèves) de reconnaître une responsabilité et un pouvoir aux profs. Du coup, si ils ont du pouvoir, il n'est pas illégitime de leur demander des comptes...
    3. Dans toutes les structures organisées (oh la la ! l'Éducation nationale n'est pas une structure comme les autres...), le patron fixe les objectifs et les employés trouvent à leur niveau les moyens d'y arriver. On appelle ça déléguer... L'idée que le ministère propose de récompenser les bons établissements sans dire comment on devient bon, c'est justement compter sur cette capacité des vrais professionnels à trouver des solutions.

    Comprenez moi, je n'ai pas de vraie sympathie pour ce gouvernement, mais vu de l'extérieur, je ne vois pas comment vous allez (tous) résister (nerveusement) aux projets qui vont se succéder au rythme des échéances politiques...

    Comment gérez vous cette différence culturelle entre le monde de l'éducation (tous patrons) et le fonctionnement du reste du monde ? (un patron et des employés)

    Pardon si mes propos sont gênants, si ils peuvent ouvrir une conversation, ce sera avec plaisir ;-)

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  2. "L'idée que le ministère propose de récompenser les bons établissements sans dire comment on devient bon, c'est justement compter sur cette capacité des vrais professionnels à trouver des solutions."
    Et c'est à des profs qui n'ont aucune notion de pédagogie, puisqu'on a supprimé les IUFM, qu'on demande de trouver ces solutions révolutionnaires ?

    Le probleme que vous semblez ne pas voir dans cette mise en compétition, c'est que votre métaphore du reste du monde ne tient que le temps qu'on peut choisir ses élèves : à partir du moment qu'un collège du 93 n'a pas le même genre d'élèves que son copain du 92 (au hasard : Aubervilliers et Antony), et que celui du 93 est OBLIGE d'accepter ces élèves, on n'est pas en droit d'exiger de lui les mêmes résultats. Et ca c'est à "qualité de prof" constante. Parce qu'en plus, bizarrement, les profs du 93 sont des profs en début de carrière et en fin de classement du concours (les autres, ils ont choisi un établissement avec de meilleurs éleves ou demandé leur mutation).
    Donc des eleves avec des conditions d'etudes plus compliquées, encadrés par des profs moins expérimentés, moins formés et moins motivés, et à présent avec moins de moyens ? Dans votre metaphore de la vraie vie, la boite, elle fait faillite et le produit est fabriqué ailleurs. La, c'est le produit, pardon les eleves qui vont en pâtir directement.
    Mais ca apparemment, c'est pas le probleme du gouvernement. Sinon il n'aurait pas eu l'idée géniale : "La formation dispensée dans les IUFM n'est pas parfaite ? N'essayons pas de l'améliorer, supprimons-la. Après tout, enseigner c'est très intuitif une fois qu'on a les connaissances"

    Z'imaginez ? La formation du permis de conduire n'est pas parfaite (c'est bien pour ça que les conducteurs débutants portent une étoile, pardon un rond avec un A, et payent leur assurance le double du tarif) : supprimons la formation, tout le monde peut conduire après avoir passé un examen portant sur la mécanique automobile. Après tout, la conduite c'est très intuitif une fois qu'on a les connaissances...

    Par ailleurs, où avez-vous vu que dans l'Educ Nat on est tous patrons ? L'EN est hierarchisée comme pas possible : professeurs, proviseur/principal, recteurs, inspecteurs, ministre des betises et billevesées... Si les profs étaient "patrons" ils pourraient décider des programmes, de comment ont les enseigne... même les "bons" profs sont découragés par les initiatives délirantes de leur ministère.

    Les profs n'ont AUCUN pouvoir, à commencer par :
    - ils n'ont pas le pouvoir de choisir leurs éleves (ceux, justement, qui vont redoubler, on les connait dès le début de l'année, à 90%)
    - ils n'ont pas le pouvoir de choisir les programmes à leur inculquer (que si l'eleve ne l'a pas avalé à la fin de l'année, il redouble)
    - ils n'ont pas le pouvoir de choisir les MOYENS (notamment le nombre d'heures d'enseignement, mais aussi la pédagogie, l'organisation) pour faire rentre ce programme qu'ils n'ont pas choisi dans ces eleves qu'ils n'ont pas choisi.
    Et on vient leur demander des comptes en les comparant à un établissement de l'autre bout de la France, qui a, certes, le même programme, mais ni les mêmes eleves, ni les mêmes moyens ? Et on va reduire les moyens de celui qui n'en avait deja pas assez pour les donner à celui qui en avait deja trop ? C'est intelligent, ça...

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  3. Je vous remercie de vos commentaires, qui ont le mérite de susciter le débat, preuve qu'il y a matière à débat.

    Mais je rejoins en effet tout à fait Eleonore : la comparaison entreprise/éducation n'est pas tenable. En effet, les collèges/lycées pourraient avoir une influence significative sur la qualité de leur produit (les élèves) si ils pouvaient choisir leur matière première (les élèves entrants), choisir leurs moyens de production (les salles, les bâtiments, le nombre d'heure), leurs employés (les profs), et surtout s'ils étaient rémunérés en fonction de la qualité de leur produit. Or, ce n'est absolument pas le cas.

    Et c'est d'ailleurs une bonne chose que ce ne soit pas le cas : l'éducation nationale a (ou devrait avoir) pour vocation de former tout le monde, et non pas de produire un produit commercial vendable.

    Et il faut donc prendre en compte ces spécificités dans les réformes de l'éducation. En attendant des résultats sans donner de moyens, on demande aux profs et aux proviseurs de faire de la bricole, de la débrouille. Ca peut parfois donner des idées intéressantes, mais ce n'est en aucun cas comme ça qu'on résoudra, même en partie, les difficultés de l'éducation en France.

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