dimanche 22 août 2010

Pas d'argent pour les Pakis

Janvier 2010 : 9 heures 30. A la rédaction d'un grand (format A3 au moins) journal parisien, une dépêche AFP tombe : "Tremblement de terre à Haïti".

Léonard, journaliste de 26 ans dans ce journal parisien qui est plus grand par la taille de son papier que par la qualité de son information, est très fier d'occuper ce poste. Il nourrit la France entière de l'information jaillie de sa plume, qu'il n'utilise pas du tout puisqu'il ne fait que taper sur un clavier. D'ailleurs, ce même clavier constitue sa principale source d'informations ; Facebook et Twitter sont, comme chacun sait, les sources les plus fiables en matière d'information neutre et vérifiable.

Léonard, donc, lit cette dépêche AFP, et est immédiatement interpellé ; "nom de nom, où est-ce que ça se trouve Haïti ?", se dit-il immédiatement. Ni une, ni deux, une recherche Wikipédia lui en apprend davantage ; pas de chance, il ne s'agit pas de cette île qui appartient aux Etats-Unis d'Amérique (les States, dans le jargon franglais qui est d'usage dans les bureaux de la capitale), ça, c'est Hawaï. Ce n'est pas non plus cette petite île qui appartient plus ou moins (on n'en est plus très sûrs) à la France ; ça, c'est Tahiti. Au lieu de ça, il s'agit d'un état indépendant, pauvre qui plus est, où les habitants ne sont même pas blancs...
C'est quand même dommage, si seulement ça avait touché des Ricains, là on aurait pu en parler. Mais des Haïtiens...
Léonard se contente juste de faire un copier-coller de la dépêche AFP en ajoutant ses initiales en bas de l'article, et de le publier sur le site internet du journal, sans même prendre le temps de corriger les fautes d'orthographe (franchement, qui connaît encore les règles d'accord du participe passé aujourd'hui ?).

Mais v'la-t-y pas qu'une autre dépêche AFP tombe dans la foulée. Barack Obama et les States veulent venir en aide à cette bande va-nus-pieds. Allez savoir pourquoi... Remarquez, puisqu'il est noir et que c'est pas très loin des Etats-Unis (une recherche sous Google Maps le lui avait appris quelques minutes auparavant), il doit sûrement avoir un lien de parenté avec ces gens au physique plutôt basané.

Un simple regard permet de constater que Barack Obama doit bien avoir un lien de parenté avec les Haïtiens.

Encore mieux, la dépêche précise que les stars d'Hollywood comptent se mobiliser pour apporter de l'aide au pays. Toujours mieux, Léonard vient de découvrir que cette bande d'inculturés sous-développés parlaient français ; quelle aubaine !
Un mot à son rédacteur en chef, qui lui confirme par un "Faut être réactif, mecton, parce que je suis sûr que si ça bouge à Hollywood, les grands nationaux doivent déjà avoir un article dans le pipe", qu'on va faire un gros buzz de cette info, et Léo s'attelle à un article qui va faire un carton et arracher des larmes même aux yeux les plus secs, ceux qui n'ont même pas pleuré lors de l'élimination de Mélissa au prime de la nouvelle star.
Cette affaire va avoir un retentissement terrible ; d'ailleurs, les groupes Facebook "1€ versé à Haïti pr tout les membre de se groupe" et "Pske je sui contre les tremblement de terre ki font des mort" ont déjà plusieurs centaines de membres. Aujourd'hui, c'est à ça qu'on mesure la popularité d'un évènement...


Nous sommes maintenant en août 2010 et Léo a été promu pour l'émotion qu'il a suscité avec ses articles poignants sur Haïti. 

En revenant de ses vacances, qu'il a passées au camping de Béziers avec des potes vachement sympas et ouverts d'esprits (des mecs hyper tolérants, mais pas au point d'être pour qu'il y ait des Arabes en France, parce qu'après, ils construisent des mosquées qui crient à 5h du matin et ils égorgent des moutons dans leur baignoire, et que vraiment, pour ces pauvres bêtes, c'est dégueulasse), Léo trouve sur son bureau deux infos pour la catégorie "international" : la famine au Niger et les inondations au Pakistan.

"Si ils ont trop d'eau au Pakistan, ils ont qu'à en envoyer au Niger !", s'exclame-t-il à destination d'Amandine, la petite stagiaire pigiste blonde (elle veut faire carrière dans le journalisme, mais elle a plus été embauchée parce qu'elle avait 21 ans et une forte poitrine que pour ses qualités journalistiques), qu'il essaie d'inviter dans ce fameux resto japonais où si tu ramènes une fille là-bas, ça ne loupe pas, t'es sûr de ramener la fille chez toi, comme lui a dit Gérard, son pote qui fait les horoscopes pour le journal. Mais Amandine ne rigole pas, et c'est Gérard qui répond : "A ce que je sache, l'eau n'a jamais tué personne, hein ?". Léo rigole. Il est con, ce Gérard !

Les inondations, c'est rigolo !

En fouillant un peu, on trouve que les Nigériens risquent la pire famine de leur histoire (ils ont eu à manger à un moment donné ?) et que les inondations au Pakistan ont fait plusieurs milliers de morts et touchent plus de 20 millions de personnes.
Mais la question encore plus importante (plus importante que de savoir combien de gens vont mourir, et surtout combien pourraient être sauvés si la communauté internationale se mobilisait vraiment), c'est de savoir si ça va pouvoir faire vendre le journal. Eh oui, non pas que Léo ait une famille à nourrir, mais si il perd son boulot, comment il va faire pour flamber en boîte et essayer de ramener un être moins poilu et mieux garni que son pote Gérard passer la nuit dans son plumard ?

Côté Niger, c'est même pas la peine d'essayer. Le Niger, c'est en Afrique, et c'est bien connu qu'ils crèvent de faim là-bas. Si les gens avaient voulu envoyer de l'argent, ça fait longtemps qu'ils l'auraient fait. On jette donc la dépêche à la poubelle, en tentant d'envoyer la boulette de papier par dessus son épaule, et on étudie le cas du Pakistan.

Recherches Google, Wikipédia, Facebook et Twitter nous apprennent que les Pakistanais sont dans cette région floue du monde entre la mer Méditerranée et l'Inde, dans laquelle il y a notamment tous ces pays qui se terminent par "stan" et dont, franchement, tout le monde se fout comme de la première chaussette de Bernadette Chirac.
Est-ce qu'ils parlent français ces cons-là ? Non ? Anglais alors ? Ourdou ? Non mais qu'est-ce que c'est que ce langage ? On n'a pas idée d'inventer des langues comme ça (Léonard s'empresse d'aller inscrire sur son compte Facebook qu'il parle Ourdou couramment, via l'application "Langues", voilà qui devrait faire rigoler les friends. D'ailleurs, Gérard a déjà cliqué sur "J'aime".).
D'ailleurs, jugez-en vous même, la région la plus durement touchée s'appelle le Khyber Pakthtunkhwa. Avec un nom pareil, même l'Eyjajlöf, l'Ejyajföll le volcan islandais peut aller se rhabiller.

Et détail qui tue, ils sont musulmans ! Zut alors, sûrement des enturbannés qui font porter la burqa à leurs nanas. Déjà qu'ils sont nombreux dans ce genre de pays, décidément, ils ne méritent sûrement pas l'aide humanitaire. Ils n'ont qu'à demander à leurs potes talibans qui leur enverront sûrement quelques petits trucs à manger, parce que c'est bien connu, en Afghanistan, on a de la nourriture à ne plus savoir qu'en foutre.

Et puis, réfléchissons un peu, Haïti, c'était il y a pas si longtemps, les gens ont déjà donné. Les Français sont généreux, mais faut pas déconner non plus : entre la quête de la croix-rouge, où on donne toujours en espérant que ce soit Adriana Karembeu qui vienne collecter vos petites pièces et le Téléthon, il n'y a pas de place dans la budget pour plus d'une catastrophe par an. Alors désolé, vous reviendrez l'année prochaine.

Si Adriana Karembeu avait fait la quête pour le Pakistan, il y aurait sûrement eu plus de dons

D'ailleurs, notre gouvernement, avec lequel on est (rarement) d'accord quand ça nous arrange, n'a donné qu'un million d'euro, soit autant que le Niger (ils avaient pas une famine à régler eux ? Décidément, on a bien fait de ne rien leur donner), et 5 fois moins que le Koweït, grand pays sur la scène internationale.
Ce petit million est à comparer à ce qu'on a donné pour sauver notre économie, bien plus importante que la vie de millions de Pakis, soit 48 milliards d'euros. Oui, nous avons donné 0,002 % (vous ne rêvez pas) de ce que nous avons dépensé pour nos entreprises pour des millions de vie au Pakistan. Mais c'est vrai que c'est difficilement comparable ; on ne place pas sur le même plan le bien-être des Français et la vie de quelques millions de Pakis. Sans parler des Nigériens... Et puis on a quand même une crise à régler, nous, alors que eux, vu leur économie, elle a pas du les toucher beaucoup, la crise.

Sur ce, je m'en retourne adhérer au groupe Facebook "Sové les Pakistanais, apprené leur à nagé" pour contribuer à l'aide humanitaire, et surtout reprendre une vie normale, parce que bon, la France a besoin de moi...

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