dimanche 29 août 2010

SALT, le film

Récemment sorti sur nos écrans, voilà un film qui ne manquera pas de défrayer la chronique. Non pas à cause de son scénario à couper le souffle, étudié jusque dans les moindres détails et pour lequel la cohérence est à peu près ce que le Turkménistan est à l'Europe (lointaine et inconnue), mais bien à cause de son actrice principale ; Angélina Jolie.
Nous allons donc voir que faire un film avec Angelina Jolie (avec un nom comme ça, elle était prédestinée) permet de se passer d'un scénariste. Ou alors, c'est le budget des explosions qui a empêché de finir le scénario, on ne sait pas trop.

L'affiche nous annonce clairement la couleur. SALT écrit en gros, et ce sous-titre alléchant : "Qui est Salt ?". A ce moment là, je serais bien tenté de dire que la réponse se trouve 25 centimètres au-dessus, que c'est Angélina Jolie, et qu'on est même allé voir le film pour ça, mais bon...

Malgré les écritures pour tenter de masquer le visage, tout le monde a bien reconnu qui était SALT.

Passons sans plus attendre au récit du film, qui, comme vous allez le voir, sera bien instructif et vous permettra de rattraper tous les cours de politique internationale que vous n'avez jamais eu. Vous pourrez aussi vous lancer dans l'écriture d'un guide intitulé : "Comment s'enfuir avec des menottes et 10 voitures de policiers à vos trousses - Pour les Nuls".
Un dernier avertissement ; ce récit peut vous donner envie d'aller voir le film juste pour rire, et l'auteur de ce blog décline toute responsabilité en cas d'achat d'un ticket de cinéma de la part du lecteur.

Le film commence en Corée du Nord, puisque depuis que les Talibans sont en fuite et que Fidel Castro est dans le même état que Benoît XVI un jour de grippe, on fait difficilement mieux dans la catégorie "Pays méchant parfait pour les films américains".
2008 : Angelina Jolie, alias Evelyn Salt, est détenue prisonnière dans les geôles Nord-Coréennes, accusée d'être un agent secret (ce qui est vrai), et torturée comme il se doit, pour bien montrer que tout ce qui est bridé est fondamentalement méchant. Cette scène ne sert d'ailleurs pas à grand chose pour la suite du film, à part à montrer l'actrice principale en sous-vêtements et d'en mettre une image dans la bande-annonce, ce qui ne manquera pas de faire doubler l'audience masculine du film.
Elle est finalement libérée au cours d'un échange de prisonnier façon guerre froide, puisque les communistes du monde entier sont restés bloqués à cette époque de l'histoire. Elle est attendue par son mari, un entomologiste allemand (c'est quelqu'un qui étudie les insectes, vous vous coucherez moins bêtes ce soir !). Allemand, parce que les scénaristes ont du se dire que seuls les Allemands, peuple travailleur et dénué d'humour comme il se doit, ont la patience requise pour étudier les insectes. Les bon Etats-uniens veulent être agent du FBI, président, chanteur de rap, ou joueur de base-ball, mais pas étudier les insectes.

On retrouve donc Salt 2 ans plus tard (donc de nos jours comme l'auront déjà calculé ceux qui ont fait Maths Sup'), avec son mari allemand à la maison, et un évènement qui survient au boulot. Evelyn Salt est agent à la CIA, puisqu'un film d'espionnage sans la CIA ni le FBI aurait autant d'audience aux USA que les films yougoslaves sur Arte le vendredi à 2 heures du matin.
Et aujourd'hui c'est la fête, puisqu'on a justement capturé un Russe qui a des révélations troublantes à faire. Ce Russe, comme le disent les ordinateurs noirs et verts de la CIA qui font toujours un bruit d'enfer quand ils cherchent une information (la première chose que j'aurais faite aurait été de désactiver ce bruit idiot et de mettre des couleur un brin plus normales et conviviales) est un agent du gouvernement dont on n'arrive pas à prononcer le nom, bref, un individu peu recommandable.
Attention les yeux, révélations :
  • la Russie a un plan diabolique pour détruire les Etats-Unis (diantre, même 20 ans après la fin de la guerre froide, v'la t'y pas qu'ils remettent ça. Increvables, ces Ruskoffs).
  • les Russes ont formé des enfants qui sont aujourd'hui adultes, à qui ils ont appris à parler anglais avant même le Russe (mon Dieu, c'est affreux, ils n'ont pas fait ça !), et qu'ils ont endoctrinés en leur faisant embrasser une bague russe avec le portrait de Staline et en leur expliquant qu'il fallait détruire les Etats-Unis parce que... parce que quoi d'ailleurs ? Mais y a-t-il vraiment besoin d'une raison ? Tout le monde sait que la Russie veut anéantir les Etats-Unis depuis toujours.
  • Les Russes ont un agent infiltré qui s'appelle Evelyn Salt, qui va tuer le président russe (le salaud s'entendait bien avec les Américains) le lendemain, lors des funérailles du vice-président américain.
Diantre ! Et c'est justement elle qui dirige l'interrogatoire, parce qu'elle est Russe de naissance (mais elle s'appelle quand même Evelyn Salt, prénom très à la mode ces derniers temps dans le pays natal de Lev Nikolaïevitch Tolstoï). Alors ses collègues (son chef qui s'appelle Winter, et un noir que j'appellerai Pepper, parce qu'il faut un quota minimum de noirs dans les films américains, mais jamais le premier rôle parce que c'est pas vendeur) s'interrogent ; comment ça se fait qu'une Russe puisse être à la solde des Russes et que personne n'ait fait d'enquête là dessus ? Pourquoi est-elle Russe et porte-t-elle quand même un nom bien de chez nous ; serait-ce un faux nom ? Nous aurait-on menti dès le début ? La CIA aurait-elle tué Kennedy (non, ça c'est les Russes, comme le révèle au cours de son interrogatoire Orlov, le Russe sus-nommé) ?

Dans les films américains, les noirs sont généralement adjoints du chef de service 

Et là, plusieurs choses se passent rapidement. Orlov, raccompagné dans l'ascenseur par deux agents de la CIA, les assomme et les tue grâce à une petite pointe cachée dans sa chaussure, et un niveau ceinture noire en combat avec des menottes, sous l'oeil des caméras de surveillance. Puis il sort de l'ascenseur, et toujours avec ses menottes, sort tranquilou du siège de la CIA à Washington (non, vous ne rêvez pas, c'est aussi simple que ça). Il ne manque pas de dire au revoir à la réceptionniste, qui le laisse passer parce qu'il avait pris la carte d'un des deux mecs qu'il venait de tuer (leçon n°1 du guide "Comment fausser compagnie à la police"). Les agents de la CIA se disent alors que zut, trop tard, puisqu'il s'est enfui, laissons-le où il est. De toute façon, il nous avait déjà tout raconté.

Mais ils commencent à avoir des doutes sur Evelyn Salt, qui s'enfuit (parce que c'est la meilleure chose à faire pour ne pas éveiller les soupçons). Passons rapidement sur "Comment fabriquer des explosifs avec une bouteille de Mr Propre, trois trombones et un extincteur pour s'enfuir du siège de la CIA" (leçon n°2 du guide sus-cité), et voilà Evelyn Salt en train de s'enfuir en tailleur et pieds nus dans la rue. Cette fois-ci, pas question de la laisser s'enfuir ; les Russes agents du gouvernement qui ont des révélations sur des attentats à venir, passe encore, mais un agent à nous, pas question ! On découvre donc que les rues sont truffées de caméras et qu'il y avait justement 5 patrouilles de police qui attendaient une petite poursuite pour égayer leur journée.
Heureusement, Evelyn s'en sort en prenant un taxi, dont on perd mystérieusement la trace (leçon n°3).

Elle rentre chez elle pour trouver son mari, (qui n'est pas là), se changer (mais elle prend soin de reprendre des chaussures à talon parce que c'est vraiment plus pratique pour courir), prendre le venin d'une araignée de son entomologiste de mari, et dire bonjour à son chien.
Pas de chance, la CIA, rusés comme ils étaient, ont aussi l'idée de venir chez elle. Elle est donc obligée de s'enfuir par les fenêtres (leçon n°4) en prenant le temps d'emmener son chien avec elle, qu'elle confie à une petite fille avant de partir (parce que c'est pas tout de s'enfuir, mais qui va nourrir Kiki pendant mon absence ?). La petite fille d'ailleurs, voit une femme pieds nus qui sort de la façade de l'immeuble et lui demande de garder un chien, elle n'hésite pas une seconde avant d'accepter. Heureusement que ce n'était pas Marc Dutrou qui passait par là ce jour-là, parce qu'avec des gamins naïfs comme ça...

Echapper à la CIA par les façades d'immeuble a été élu loisir préféré des ménagères de moins de 50 ans.

Pas de chance, la CIA retrouve sa trace et se lance à sa poursuite avec un paquet de grosses voitures. Au moment où ils l'ont enfin coincée, elle saute d'un pont sur le toit d'un camion qui passait sur l'autoroute, se fait blesser à la hanche, puis saute allègrement de camions en camions sur l'autoroute, rien de plus facile quand on est en talons avec une balle dans le dos (leçon n°5 ; pas la plus facile, pratiquez bien les autres leçons avant d'essayer celle-ci). La CIA s'accroche, mais elle arrive heureusement à prendre une moto et filer entre les embouteillages (leçon n°6 ; possibilité de s'entraîner sur le périph aux heures de pointe).

On la retrouve ensuite aux funérailles du vice-président des Etats-Unis, auquel assiste le président russe. La CIA (justement, c'est l'équipe de Salt qui est de service sécurité ce jour-là) est sur les dents, parce que c'est là que le président russe doit être tué.
Evelyn Salt, qui a pris soin de se teindre les cheveux en noir et d'enlever ses lentilles colorantes pour ne pas qu'on la reconnaisse, passe par des couloirs connus d'elle seule dans le métro pour arriver sous l'église au moment de l'enterrement. Elle met hors d'état de nuire une trentaine de policiers, fait effondrer le sol de la cathédrale au moment du discours du président russe, qui se retrouve donc un étage en dessous dans la crypte, et l'abat de sang-froid (comment ça, peu crédible ?). Elle aurait aussi bien pu le tuer quand il était dans la rue, dans son hôtel ou à l'aéroport, mais il fallait bien un peu de challenge.

Elle est arrêtée par son collègue Pepper de la CIA, qu'elle a épargné alors qu'elle aurait pu le tuer, puis emmenée au poste. Mais (et c'est notre 7e leçon pour s'échapper), elle expulse de la voiture les deux policiers à ses côtés, le tout avec des menottes (ces Russes sont diablement bons pour se battre avec des menottes), utilise le taser du troisième pour l'obliger à conduire sa voiture là où elle veut, en se servant des fonctions "marche avant" et "marche arrière" du taser. Elle provoque deux ou trois accidents, puis fait sauter la voiture d'un pont avant d'en sortir comme si de rien n'était et profiter de la cohue pour s'échapper (leçon n°8 : vous aurez sûrement besoin d'un peu de pratique pour ne pas être décoiffée après un saut de 5 mètres en voiture).

Heureusement, elle a pris soin de voler une chapka pour que ses copains russes la reconnaisse.

Salt peut maintenant retrouver ses camarades russes, en héroïne après avoir tué leur président. Ces derniers se cachent justement dans un vieux bateau, dans une sorte de port désaffecté, sûrement parce que ça leur rappelle les paysages de leur pays natal, mais surtout pour qu'on puisse voir que ce sont des méchants. Ils l'accueillent comme une soeur, mais tuent son mari sous ses yeux parce qu'il ne faisait pas partie du plan. Ils lui disent que maintenant, c'est bon, ils vont pouvoir détruire les USA, parce que leur nouveau président n'aime pas du tout ces putains de ricains, et que vive la Russie, buvons un coup de Vodka pour fêter ça (oui, tous les Russes sans exception sont alcooliques). 
Evelyn Salt est pas joice, parce qu'on vient de tuer son mari, et que personne ne connaîtra désormais le secret de la reproduction des scarabées bousiers du Madagascar, et que c'est une perte terrible pour l'humanité. 

Donc elle les tue tous, et retrouve le dernier pas encore mort, Shnaider, un pote d'enfance qui lui aussi fait partie de la brigade d'élite anti-USA, qui lui annonce qu'il a un plan diablement rusé pour tuer le président des Etats-Unis. Il lui parle même en anglais avec un affreux accent russe tellement il est content de la revoir (c'est bien connu, si vous rencontrez un pote de primaire à Varsovie, vous allez immédiatement engager la conversation en polonais).
Ils se déguisent donc en soldats russes (futé comme déguisement en période de tension entre les Etats-Unis et la Russie) pour aller à une petite réception à la maison blanche. Angélina Jolie s'est déguisée en homme pour l'occasion, déguisement tellement bien fait que tout le monde la prend pour un soldat russe.

Coupez-lui les cheveux et mettez-lui un pantalon, tout le monde la prendra pour un homme...

Le plan vachement rusé du camarade Schnaider consistait à se faire exploser à 30 mètres du président après avoir crié en russe comme un fou furieux, ce qui, curieusement, ne fonctionne pas. D'ailleurs, le service de sécurité de la maison blanche se fera sûrement renvoyer pour avoir laissé passer une bombe humaine, et pour ne pas avoir reconnu Angelina Jolie.
Le président américain est donc emmené dans son bunker sous-terrain, duquel il pourra déclencher une guerre nucléaire contre la Russie, puisqu'on vient justement de découvrir des missiles nucléaires braqués sur les Etats-Unis (cette histoire d'une guerre nucléaire entre la Russie et les Etats-Unis a reçu l'oscar de l'intrigue le plus original). Mais là, on découvre que le chef de la CIA, le fameux Winter, faisait lui aussi partie du commando d'élite russe. Il tue tout le monde, sauf le président (il a besoin de son empreinte digitale, donc il ne peut pas le tuer, parce que c'est bien connu qu'un mort n'a plus d'empreintes digitales), en détruisant tout dans la salle, sauf la télévision pour les infos, et l'ordinateur qui sert à envoyer les bombes nucléaires, quelle chance.

Entre temps, Evelyn Salt a enlevé son déguisement d'homme, parce que... attendez, pourquoi fait-elle ça ? Quand on est la personne la plus recherchée du moment parce qu'on a tué un président, et qu'on se ballade dans la maison blanche pour en tuer un deuxième, on a pas forcément intérêt à être reconnue, non ? (La vraie raison étant que le producteur avait payé suffisamment cher pour avoir Angelina Jolie, il n'allait pas la laisser déguisée en homme plus de 5 minutes, quand même). 
Elle s'est glissée jusqu'à la porte du bunker présidentiel en mettant KO une dizaine de policiers (la routine désormais ; il paraîtrait même qu'elle s'en fait 5 ou 6 tous les matins avant le petit déjeuner), et retrouve Winter, qui se prépare à mettre en place un plan vachement rusé : pour détruire les Etats-Unis, il va envoyer une bombe nucléaire (sur New York et San Francisco ? Non, ce serait un peu simple) sur Téhéran et la Mecque, pour que les gnacoués bougnoules rastaquouères reubeus musulmans du monde entier se révoltent et anéantissent les Etats-unis. Vachement futé comme plan...

Heureusement, le mec qui avait programmé l'ordi pour envoyer les bombes nucléaires était à peu près aussi doué en informatique qu'Amélie Mauresmo en danse classique, ce qui a pour effet que non seulement le processus pour envoyer le missile prend un bon quart d'heure, mais qu'en plus il plante deux fois de suite et qu'il faut du coup tout recommencer à zéro. 

Pendant ce temps, Winter voit à la télé que le président russe assassiné n'était en fait pas mort, mais seulement paralysé (Salt lui avait en fait envoyé une seringue avec le poison de l'araignée de son appartement), et qu'aucun médecin n'avait vu qu'il n'avait aucune trace de balle et qu'il n'était pas mort (encore des médecins qui ont eu leur diplôme dans une pochette surprise). 
Du coup Winter s'aperçoit que Salt est en fait une vraie patriote américaine et veut simplement détruire le plan russe d'anéantir les Etats-Unis (ouf, l'honneur est sauf, les jolis sont du côté des gentils, et tous les méchants ont des têtes d'affreux, le monde va pouvoir continuer à tourner rond avec les Etats-Unis au centre). Du coup, Salt explose le béton du bunker pour trouver la commande électrique de la porte, et empêche Winter d'envoyer les missiles quand l'ordinateur affiche 99% (ce dénouement a reçu le prix de la meilleure innovation dans le cinéma d'action).

Mais toutes les preuves sont contre Salt, qui se fait (encore) arrêter par la CIA, et qui laisse Winter libre. Heureusement, les menottes qu'ils passent à Salt sont suffisamment larges pour qu'elle puisse garder sa liberté de mouvement, et ils ne lui mettent toujours pas de menottes au pied (elle ne s'est échappée que 8 fois après tout), ce qui lui permet de se libérer quelques secondes pour aller étrangler Winter (comme ça on ne pourra jamais découvrir que c'était lui le vrai traître).

Elle se fait embarquer en hélicoptère, (auraient-ils compris que c'était trop facile de s'échapper d'une voiture ?) par la CIA et son vieux pote Pepper (j'ai découvert à la fin du film qu'il ne s'appelait en fait pas Pepper), qui comprend finalement qu'elle n'était en fait pas une traîtresse, mais la véritable héroïne du film (il aurait aussi pu s'en rendre compte dès le début en voyant qu'elle était incarnée par Angelina Jolie). 
Du coup, il lui ouvre ses menottes, et le film se termine sur notre dernière leçon (il vous faudra cependant un hélicoptère et un lac pour la mettre en application), où Salt défonce la portière de l'hélico d'un coup d'épaule (facile !), tombe dans l'eau, et s'enfuit discrètement. 
The End, les lumières se rallument, les spectateurs essuient leurs larmes et se remettent de leurs émotions.

Le film n'était en fait qu'un prétexte pour Angelina Jolie pour essayer de nouvelles colorations

Vous l'aurez sans doute remarqué grâce à des indices discrets disséminés tout au long du récit, ce film a reçu plusieurs prix :
- le prix du scénario, pour ses rebondissement vraiment surprenants
- le prix Head and Shoulders, pour les colorations réussies, en 5 minutes et pour 9,99€ seulement (dans tous les magasins participants, voir conditions en magasin) d'Angelina Jolie
- le prix "Insectes magazine", parce que c'est la première fois qu'on entend le mot entomologiste dans un film américain.

Sur ce, je m'en retourne écrire le scénario de la suite du film, qui s'appellera Pepper...

dimanche 22 août 2010

Pas d'argent pour les Pakis

Janvier 2010 : 9 heures 30. A la rédaction d'un grand (format A3 au moins) journal parisien, une dépêche AFP tombe : "Tremblement de terre à Haïti".

Léonard, journaliste de 26 ans dans ce journal parisien qui est plus grand par la taille de son papier que par la qualité de son information, est très fier d'occuper ce poste. Il nourrit la France entière de l'information jaillie de sa plume, qu'il n'utilise pas du tout puisqu'il ne fait que taper sur un clavier. D'ailleurs, ce même clavier constitue sa principale source d'informations ; Facebook et Twitter sont, comme chacun sait, les sources les plus fiables en matière d'information neutre et vérifiable.

Léonard, donc, lit cette dépêche AFP, et est immédiatement interpellé ; "nom de nom, où est-ce que ça se trouve Haïti ?", se dit-il immédiatement. Ni une, ni deux, une recherche Wikipédia lui en apprend davantage ; pas de chance, il ne s'agit pas de cette île qui appartient aux Etats-Unis d'Amérique (les States, dans le jargon franglais qui est d'usage dans les bureaux de la capitale), ça, c'est Hawaï. Ce n'est pas non plus cette petite île qui appartient plus ou moins (on n'en est plus très sûrs) à la France ; ça, c'est Tahiti. Au lieu de ça, il s'agit d'un état indépendant, pauvre qui plus est, où les habitants ne sont même pas blancs...
C'est quand même dommage, si seulement ça avait touché des Ricains, là on aurait pu en parler. Mais des Haïtiens...
Léonard se contente juste de faire un copier-coller de la dépêche AFP en ajoutant ses initiales en bas de l'article, et de le publier sur le site internet du journal, sans même prendre le temps de corriger les fautes d'orthographe (franchement, qui connaît encore les règles d'accord du participe passé aujourd'hui ?).

Mais v'la-t-y pas qu'une autre dépêche AFP tombe dans la foulée. Barack Obama et les States veulent venir en aide à cette bande va-nus-pieds. Allez savoir pourquoi... Remarquez, puisqu'il est noir et que c'est pas très loin des Etats-Unis (une recherche sous Google Maps le lui avait appris quelques minutes auparavant), il doit sûrement avoir un lien de parenté avec ces gens au physique plutôt basané.

Un simple regard permet de constater que Barack Obama doit bien avoir un lien de parenté avec les Haïtiens.

Encore mieux, la dépêche précise que les stars d'Hollywood comptent se mobiliser pour apporter de l'aide au pays. Toujours mieux, Léonard vient de découvrir que cette bande d'inculturés sous-développés parlaient français ; quelle aubaine !
Un mot à son rédacteur en chef, qui lui confirme par un "Faut être réactif, mecton, parce que je suis sûr que si ça bouge à Hollywood, les grands nationaux doivent déjà avoir un article dans le pipe", qu'on va faire un gros buzz de cette info, et Léo s'attelle à un article qui va faire un carton et arracher des larmes même aux yeux les plus secs, ceux qui n'ont même pas pleuré lors de l'élimination de Mélissa au prime de la nouvelle star.
Cette affaire va avoir un retentissement terrible ; d'ailleurs, les groupes Facebook "1€ versé à Haïti pr tout les membre de se groupe" et "Pske je sui contre les tremblement de terre ki font des mort" ont déjà plusieurs centaines de membres. Aujourd'hui, c'est à ça qu'on mesure la popularité d'un évènement...


Nous sommes maintenant en août 2010 et Léo a été promu pour l'émotion qu'il a suscité avec ses articles poignants sur Haïti. 

En revenant de ses vacances, qu'il a passées au camping de Béziers avec des potes vachement sympas et ouverts d'esprits (des mecs hyper tolérants, mais pas au point d'être pour qu'il y ait des Arabes en France, parce qu'après, ils construisent des mosquées qui crient à 5h du matin et ils égorgent des moutons dans leur baignoire, et que vraiment, pour ces pauvres bêtes, c'est dégueulasse), Léo trouve sur son bureau deux infos pour la catégorie "international" : la famine au Niger et les inondations au Pakistan.

"Si ils ont trop d'eau au Pakistan, ils ont qu'à en envoyer au Niger !", s'exclame-t-il à destination d'Amandine, la petite stagiaire pigiste blonde (elle veut faire carrière dans le journalisme, mais elle a plus été embauchée parce qu'elle avait 21 ans et une forte poitrine que pour ses qualités journalistiques), qu'il essaie d'inviter dans ce fameux resto japonais où si tu ramènes une fille là-bas, ça ne loupe pas, t'es sûr de ramener la fille chez toi, comme lui a dit Gérard, son pote qui fait les horoscopes pour le journal. Mais Amandine ne rigole pas, et c'est Gérard qui répond : "A ce que je sache, l'eau n'a jamais tué personne, hein ?". Léo rigole. Il est con, ce Gérard !

Les inondations, c'est rigolo !

En fouillant un peu, on trouve que les Nigériens risquent la pire famine de leur histoire (ils ont eu à manger à un moment donné ?) et que les inondations au Pakistan ont fait plusieurs milliers de morts et touchent plus de 20 millions de personnes.
Mais la question encore plus importante (plus importante que de savoir combien de gens vont mourir, et surtout combien pourraient être sauvés si la communauté internationale se mobilisait vraiment), c'est de savoir si ça va pouvoir faire vendre le journal. Eh oui, non pas que Léo ait une famille à nourrir, mais si il perd son boulot, comment il va faire pour flamber en boîte et essayer de ramener un être moins poilu et mieux garni que son pote Gérard passer la nuit dans son plumard ?

Côté Niger, c'est même pas la peine d'essayer. Le Niger, c'est en Afrique, et c'est bien connu qu'ils crèvent de faim là-bas. Si les gens avaient voulu envoyer de l'argent, ça fait longtemps qu'ils l'auraient fait. On jette donc la dépêche à la poubelle, en tentant d'envoyer la boulette de papier par dessus son épaule, et on étudie le cas du Pakistan.

Recherches Google, Wikipédia, Facebook et Twitter nous apprennent que les Pakistanais sont dans cette région floue du monde entre la mer Méditerranée et l'Inde, dans laquelle il y a notamment tous ces pays qui se terminent par "stan" et dont, franchement, tout le monde se fout comme de la première chaussette de Bernadette Chirac.
Est-ce qu'ils parlent français ces cons-là ? Non ? Anglais alors ? Ourdou ? Non mais qu'est-ce que c'est que ce langage ? On n'a pas idée d'inventer des langues comme ça (Léonard s'empresse d'aller inscrire sur son compte Facebook qu'il parle Ourdou couramment, via l'application "Langues", voilà qui devrait faire rigoler les friends. D'ailleurs, Gérard a déjà cliqué sur "J'aime".).
D'ailleurs, jugez-en vous même, la région la plus durement touchée s'appelle le Khyber Pakthtunkhwa. Avec un nom pareil, même l'Eyjajlöf, l'Ejyajföll le volcan islandais peut aller se rhabiller.

Et détail qui tue, ils sont musulmans ! Zut alors, sûrement des enturbannés qui font porter la burqa à leurs nanas. Déjà qu'ils sont nombreux dans ce genre de pays, décidément, ils ne méritent sûrement pas l'aide humanitaire. Ils n'ont qu'à demander à leurs potes talibans qui leur enverront sûrement quelques petits trucs à manger, parce que c'est bien connu, en Afghanistan, on a de la nourriture à ne plus savoir qu'en foutre.

Et puis, réfléchissons un peu, Haïti, c'était il y a pas si longtemps, les gens ont déjà donné. Les Français sont généreux, mais faut pas déconner non plus : entre la quête de la croix-rouge, où on donne toujours en espérant que ce soit Adriana Karembeu qui vienne collecter vos petites pièces et le Téléthon, il n'y a pas de place dans la budget pour plus d'une catastrophe par an. Alors désolé, vous reviendrez l'année prochaine.

Si Adriana Karembeu avait fait la quête pour le Pakistan, il y aurait sûrement eu plus de dons

D'ailleurs, notre gouvernement, avec lequel on est (rarement) d'accord quand ça nous arrange, n'a donné qu'un million d'euro, soit autant que le Niger (ils avaient pas une famine à régler eux ? Décidément, on a bien fait de ne rien leur donner), et 5 fois moins que le Koweït, grand pays sur la scène internationale.
Ce petit million est à comparer à ce qu'on a donné pour sauver notre économie, bien plus importante que la vie de millions de Pakis, soit 48 milliards d'euros. Oui, nous avons donné 0,002 % (vous ne rêvez pas) de ce que nous avons dépensé pour nos entreprises pour des millions de vie au Pakistan. Mais c'est vrai que c'est difficilement comparable ; on ne place pas sur le même plan le bien-être des Français et la vie de quelques millions de Pakis. Sans parler des Nigériens... Et puis on a quand même une crise à régler, nous, alors que eux, vu leur économie, elle a pas du les toucher beaucoup, la crise.

Sur ce, je m'en retourne adhérer au groupe Facebook "Sové les Pakistanais, apprené leur à nagé" pour contribuer à l'aide humanitaire, et surtout reprendre une vie normale, parce que bon, la France a besoin de moi...